Comment les élus par clientélisme parfois se jouent de la la laïcité . Nanterre avec Patrick Jarry et la vente de l'ex école du plateau à l'institut Ibn Badis en est un exemple
Un article de Figarovox
Mosquées : comment les élus contournent la loi de 1905
Par Jean-Christophe Moreau (publié en 2015)
Spécialiste
de l'histoire du droit, diplômé de l'École des hautes études sciences
sociales et de la Faculté de droit et de sciences politiques de
l'université Aix-Marseille III. Il a co-écrit avec Isabelle Kersimon,
Islamophobie la contre-enquête (Edition plein Jour)
Bien
que la loi de Séparation des Églises et de l'État prévoie expressément
que la République ne salarie ni ne subventionne aucun culte, ce principe
connaît de nombreuses dérogations. Ainsi les municipalités
peuvent-elles prêter leur concours à l'édification de nouveaux lieux de
culte au moyen de trois mécanismes distincts: en garantissant les
emprunts contractés par les associations religieuses, en accordant des
subventions pour financier la construction des parties «culturelles» des
édifices cultuels, et, last but not least, en mettant à disposition des
terrains constructibles par la conclusion de baux emphytéotiques
administratifs cultuels. Les
municipalités peuvent-elles prêter leur concours à l'édification de
nouveaux lieux de culte au moyen de trois mécanismes distincts.
Dans un rapport rendu public le 18 mars,
le sénateur Hervé Maurey (UDI) propose d'aller plus loin et demande,
parmi sept mesures «destinées à faciliter les relations entre les
pouvoirs publics locaux et les cultes dans notre pays», l'autorisation
pour les collectivités locales de conclure des baux emphytéotiques avec
option d'achat au profit des associations religieuses. Or, cette
proposition pose problème car le montant symbolique du loyer d'un bail
emphytéotique est précisément supposé être la contrepartie de la cession
future du droit de propriété du bâtiment construit (aux frais de
l'association) au bénéfice la collectivité. Présentée comme un moyen
idéal de désamorcer «les bombes à retardement» que sont les baux
emphytéotiques cultuels, la solution de «l'option d'achat» présage
surtout d'une énième offensive contre le principe de Séparation des
Églises et de l'État.
La Séparation des Églises et de l'État: un mirage juridique
En
1905, la règle de non subventionnement des cultes était regardée comme
une règle vertueuse. Supprimer le budget des cultes, c'était alors
rompre le lien organique entre l'État est les Églises: l'interdiction
témoignait à la fois de l'avènement d'une société sécularisée et de
l'émancipation politique des autorités religieuses.
Longtemps
considérée comme la pierre angulaire du principe de laïcité, cette
règle est désormais perçue comme un handicap politique par de nombreux
élus locaux. Face à la vitalité du culte musulman (et dans une moindre
mesure du culte évangélique), nombre d'édiles voient dans la loi de 1905
une source d'inégalités entre les cultes anciens et «nouveaux» ,
inégalités qu'ils dénoncent avec d'autant plus de conviction qu'elle
représente à leurs yeux un manque à gagner électoral.
Tandis qu'au plan
national, on lui reproche d'encourager le maintien de l'islam sous
influence étrangère, et plus précisément de contraindre les fidèles à
accepter des financements en provenance de pays connus pour leur
interprétation rigoriste des préceptes coraniques.
Longtemps
considérée comme la pierre angulaire du principe de laïcité, cette
règle est désormais perçue comme un handicap politique par de nombreux
élus locaux. Lancée par le célèbre
rapport Machelon en 2006, cette fronde des élus locaux contre la loi de
1905 a déjà porté ses fruits devant le Conseil d'État (arrêt du 19
juillet 2011, Mme Vayssière) et le Conseil constitutionnel (QPC du 21
février 2013, décision n°2012-297) puisque ces derniers ont «assoupli»
la règle de non subventionnement des cultes au motif qu'elle aurait
connu trop de dérogations pour avoir valeur constitutionnelle. Les
Hautes juridictions ont effectivement jugé, contre la lettre et l'esprit
de la loi de 1905, que l'obligation de neutralité religieuse de l'État
était un accessoire du principe constitutionnel de laïcité et qu'il
incombait avant tout aux autorités publiques de garantir la liberté de
religion, y compris en soutenant éventuellement la construction de
nouveaux lieux de culte pour compenser les difficultés financières d'une
communauté religieuse.
On
est ainsi passé en un siècle de l'idée d'une Séparation indispensable
des Églises et de l'État à l'assimilation de la satisfaction des besoins
religieux à une mission d'intérêt général .Ce travestissement du
principe de laïcité est d'autant plus problématique que les
municipalités ont en pratique un pouvoir d'appréciation
quasi-discrétionnaire pour juger de l'existence d'un «intérêt public
local» en matière de lieux de culte.
Au risque de voir l'intérêt général
sacrifié au profit du calcul électoral, et d'autoriser les élus locaux à
s'immiscer dans l'organisation du culte musulman en privilégiant
certaines associations plutôt que d'autres.
Les
Hautes juridictions ont effectivement jugé, contre la lettre et
l'esprit de la loi de 1905, que l'obligation de neutralité religieuse de
l'État était un accessoire du principe constitutionnel de laïcité.
La tentation néo-concordataire chez les élus locaux
D'après
l'enquête TNS/SOFRES réalisée pour le rapport Maurey, 59% des maires
seraient hostiles à toute modification de la loi de 1905 qui viserait à
autoriser le financement public des nouveaux lieux de culte, tandis que
29 % ne s'opposeraient pas à un système de co-financement État/communes
et organisations religieuses. L'enquête révèle également que les
sollicitations pour la construction de nouveaux édifices cultuels
concernent essentiellement le culte musulman, confirmant ainsi la
tendance observée au cours des dernières décennies .
Les sollicitations pour la construction de nouveaux édifices cultuels concernent essentiellement le culte musulman.
Mais
lorsque les élus sont directement concernés par l'implantation de
nouveaux lieux de culte, en particulier lorsqu'il est question de
l'islam, le souci de neutralité s'efface au profit d'un volontarisme
municipal évident. Sur 190 lieux de culte musulmans en chantier (ou
inaugurés depuis 2011), on constate que 114 projets ont été rendus
possibles grâce à la cession d'un terrain municipal (dont 76 terrains
vendus après déclassement et 38 terrains mis à disposition par bail
emphytéotique administratif).
Tout
porte donc à croire que les municipalités -toutes tendances politiques
confondues à l'exception du Front national- sont en passe de devenir les
premiers bailleurs fonciers du culte musulman.
Ainsi le projet de
grande mosquée de Tours a-t-il débuté grâce à une vente de terrain à un
prix dérisoire (7,5 €/m2) et une promesse de subvention «culturelle» à
hauteur de 2,5 millions d'euros, malgré l'endettement record de la
ville. De même, la municipalité d'Évreux a voté la mise à disposition
d'un terrain de 5000 m2 pour un euro symbolique au profit du projet de
l'Union cultuelle musulmane d'Évreux. À Nantes, la mosquée Assalam
(inaugurée en 2012) a été construite sur un terrain vendu par la
municipalité, tout en bénéficiant d'une subvention «culturelle» de 200
000 euros et d'une garantie d'emprunt à hauteur de 346 800 euros. Autant
d'exemples qui invitent à relativiser les discours catastrophistes
d'Edwy Plenel sur un pays en «guerre contre la visibilité de l'islam»
Au lieu
d'ajouter de nouvelles dérogations à la loi de 1905 comme le préconise
le rapport Maurey, on aimerait que cette fuite en avant cède la place à
un temps de réflexion sur la finalité politique de ces accommodements en
commençant, conformément au souhait de certains élus socialistes, par
«commander un audit national sur l'ensemble des financements publics en
faveur des cultes».
À l'heure où il
est question d'une réforme transparente de l'islam de France, il serait
peut-être temps de méditer les réflexions du théologien Alexandre Vinet
sur la Séparation des Églises et de l'État:
«Si l'on nous demande: Que
voulez-vous que la religion devienne, sans l'appui de l'État? Nous
répondrons simplement: Qu'elle devienne ce qu'elle doit devenir; qu'elle
vive si elle a de quoi vivre; qu'elle meure si elle doit mourir S'il
était vrai que la religion ne dût pas survivre à ses rapports
artificiels et forcés avec l'État, s'il était vrai seulement que sa
condition dût empirer par le fait de cette séparation, autant vaudrait,
dès cette heure, l'abandonner, et chercher dans quelque vieille erreur
ou dans quelque jeune système la consolation de cette misère intime et
profonde que, jusqu'à ce jour, à l'aide d'une sage politique, elle avait
si doucement, si complaisamment bercée.»
Un texte qui devrait intéresser Patrick Jarry, s'il prenait la peine de le lire, il devrait aussi méditer le texte de ce tweet : Le "présence en force" est surprenant
A bientôt si vous le voulez bien