Labellisés
“Architecture contemporaine remarquable”, les étonnants gratte-ciel
d’Emile Aillaud plantés en vue de la Défense ont besoin d’une sérieuse
remise aux normes. Thermiques, sociales, civiques, urbaines. Un sacré
chantier dans lequel il ne faudrait pas oublier… les habitants !
Les
Tours Nuages à Nanterre (92), c’est l’histoire d’un rêve architectural
et urbain qui a tourné en eau de boudin. A savoir, dix huit bâtiments —
dont deux culminent à 105 mètres et les autres autour de 30 — tout en
rondeurs, en ellipses, étonnants et poétiques avec leur vêture de
mosaïques en pâte de verre couleurs de ciels où ils perdent la tête,
couleurs des arbres où se cachent leurs pieds. Des milliers d’arbres,
car chacun des 3000 appartements a le sien, dûment numéroté, paraît-il.
Encore une tocade de l’architecte qui a rêvé, dessiné, construit ce
grand ensemble à un jet de pierre du quartier de la Défense entre 1974
et 1981. Son nom : Emile Aillaud (1902 - 1988), auto-proclamé « poète de l’anti angle droit » (en référence au Poème de l’angle droit de son détesté confrère Le Corbusier).
De
loin, en arrivant à pied par le grand parc André Malraux, ses tours peu
communes ne manquent ni d’humour, ni de douceur. De près, les façades
s’effritent, les cheminements se compliquent, les halls sont hostiles,
l’ambiance s’alourdit. Comme nombre de bâtisseurs utopistes des Trente
Glorieuses (Corbu, mais aussi Renaudie, Gailhoustet, Baladur, Candilis,
Labourdette, Kalisz, Nuñez-Yanovsky, Bofill, Chemetov et ses amis de
l’AUA, liste non exhaustive…), Aillaud l’humaniste a-t-il tapé à côté de
la plaque ?
Qu’on en juge. Ce doux rêveur nous a laissé quelques utopies qui, avec le temps, s’avèrent ingérables. Premières du genre, les Courtillières à Pantin (93), construites suite à l’appel de l’abbé Pierre en 1954 sous la forme d’ « un immeuble sinueux de plus d’un kilomètre de long [qui] enclot
comme un rempart un parc d’un seul tenant d’environ 4 hectares planté
de 1 500 arbres avec des pelouses de jeux, des pistes de patinage » explique alors l’architecte. Las, « le paradis des enfants » est devenu avec la fin du siècle celui de tous les trafics.
“Mais on les aime, nos Tours Nuages, on s’y sent bien !”
Sur le même modèle, Aillaud a imaginé la Grande Borne (1967-1971) à Grigny (91), une « cité-jardin »
de 3685 logements qui serpentent dans un dédale à l’infini, loin de
tout, sans repères ni aménité, plus abonnée aujourd’hui aux pages des
faits divers qu’aux rubriques art de vivre ou tourisme insolite.
Et les
Tours Nuages, enfin, plantées au petit bonheur et sans adresse
précise dans un décor – jardin, espace public, zone de deal ? — tout en
bosses, en creux, en recoins dessinés par M. l’architecte pour jouer à
cache-cache. A la troisième photo que j’essaye de cadrer sur cet étrange
environnement pavé-boisé-bosselé, deux capuches sortent de nulle part,
me hèlent, me cernent, m’invectivent. Un jour de semaine à 3 heures de
l’après-midi !...
« Mais on les aime, nos Tours Nuages, on s’y sent bien ! »
s’écrient en chœur les membres de l’amicale des locataires (qui veulent
rester anonymes). Ils sont là, une bonne douzaine, autour de la table
de leur local au pied d’une tour. Quasiment tous sont des « anciens »,
arrivés ici dans les années 1980, quand la mixité sociale était une
réalité. Depuis, le ghetto gagne. Ils le reconnaissent, même s’ils
soupçonnent les bailleurs — Hauts de Seine Habitat et la Ville de
Nanterre — de ne mettre ici « que des pauvres ». La réalité,
hélas, est plus prosaïque : beaucoup de candidats au logement social,
effrayés par la mauvaise réputation de la cité, refusent de s’y
installer.
N’empêche, si notre
poignée d’habitants motivés s’échauffe aujourd’hui, c’est aussi pour de
bonnes raisons : ils ont appris — incidemment !— l’existence d’un « PIA piloté par l’ANRU qui a débouché, en octobre, sur un AMI où personne ne nous a convié ! »
jargonne allègrement leur porte-parole qui commence à bien connaître
son dossier. En clair, le PIA est l’acronyme de Programme
d’Investissement d’Avenir (de l’argent public destiné, notamment, à
l’isolation thermique) ; l’ANRU, c’est l’agence nationale pour le
renouvellement urbain (le bras armé de l’État) ; et l’AMI, un Appel à
Manifestation d’Intérêt ouvert aux investisseurs éventuels qui
pourraient (le conditionnel est de mise), en récupérant une, deux ou
trois tours, amener d’autres usages (un hôtel ? des bureaux ? des
services ? une salle de sport ? un restaurant panoramique ?), et donc « une certaine mixité ». Cris d’orfraies des locataires qui n’ont pas du tout envie d’être délogés par des costards-cravates…
« On se calme, rien n’est fait, on en est juste aux idées, et tout prendra beaucoup de temps encore »,
soupire l’architecte et urbaniste Sophie Denissof, de l’agence
Castro-Denissof, qui planche actuellement sur un vaste plan de
requalification urbaine de tout le secteur « Parc-Sud » à Nanterre, dont
les Tours Nuages n’occupent qu’une petite partie. « Déjà, précise-t-elle, rien
ne se passera avant 2024 et la construction de nouveaux logements
sociaux sur le site des Groues, de l’autre côté de l’axe Seine-Arche,
pour reloger ceux qui voudront bouger. Les autres, s’ils le souhaitent,
resteront évidemment. »
“Un chantier pharaonique, avec ballets de camions, de grues, de désagréments, pour un coût hors de toutes proportions”
En
attendant, un autre chantier, très expérimental aussi, devrait peu à
peu se mettre en place : celui de l’indispensable isolation thermique de
ces passoires à courants d’air. Là encore, sur le constat, les
locataires acquiescent. Moins sur le rendu, proposé par l’agence RVA,
lauréate du concours (et qui a déjà bien réussi sa réhabilitation des
Courtillières de M. Aillaud à Pantin en 2015). Sa proposition : un
habillage des tours en inox. « Rendez-nous nos mosaïques ! » s’insurge l’amicale.
« La question est complexe, reconnaissent Philippe Vignaud et Dominique Renaud, les deux associés de RVA. Isoler
par l’intérieur est impossible car cela retirerait de la surface aux
appartements ; de plus, le chantier serait extrêmement gênant pour les
habitants », dit l’un. « Seule solution, reprend l’autre :
isoler par l’extérieur. Et là, si l’on veut des mosaïques (qui
d’expérience, tiennent mal avec le temps), il faudrait remonter des murs
en béton ! Un chantier pharaonique, avec ballets de camions, de grues,
de désagréments, pour un coût hors de toutes proportions. » « Reste donc, finissent-il en duo, le
bardage en métal — avec une prédilection pour l’inox, très résistant et
à qui on peut donner les formes que l’on veut et une multitude de
teintes et d’aspects qui rappelleront cette “référence nuages” qui nous
est chère aussi. »
Quant
aux fenêtres si caractéristiques — rectangles arrondis, hublots tout
ronds ou larmes tristes — les architectes de RVA s’engagent évidemment à
les reproduire « au plus près du clair de vue » (même forme,
quasi même taille de la partie vitrée) dans un cadre en métal plaqué par
l’extérieur, sous le bardage … encore à mettre au point pour « non pas refaire les tours à l’identique, mais continuer leur histoire dans le même esprit ». Quant à la méthodologie : « L’idée
est de choisir d’ici la fin de l’année une tour témoin qui nous servira
de test en vraie grandeur, … que pourront suivre et commenter les
habitants. » Ouf, ils l’ont dit ! Car, comme trop souvent dans ces
affaires de rénovations urbaines lourdes décidées par des élus a priori
soucieux du bien-être de leurs administrés, et confiée à des
professionnels sûrement animés des meilleures intentions
architecturales, l’usager semble relever de la quantité négligeable. Au
pied de la tour, ça râle à l’amicale : « On n’est ni des numéros, ni des objets que l’on déplace ! »
Tout est dit: La ville de Nanterre perpétue 50 ans après les utopies des architectes des années 60-70 en refusant de voir la réalité. En imposant des prix bas au m² aux promoteurs , la qualité de la construction s'en ressent, les études sont bâclées, et les idées fumeuses de végétalisation des façades génèrent des nuisances inattendues comme en témoigne la mésaventure des occupants de l'immeuble Iconik près de la gare de Nanterre U (article du Parisien)
Extraits de l'article :Nanterre : l’immeuble ronfle, les habitants n’en dorment plus Le
sifflement du vent dans les barres métalliques devant supporter de
futures plantes grimpantes génère une nuisance jugée insupportable par
les habitants d’un immeuble tout neuf. Le promoteur assure que
l’installation n’est pas encore achevée.«
J'en ai passé des nuits blanches… Et ce bruit inquiète même les
enfants, alors qu'ils n'entendent pas les trains passer. » .
Cet immeuble "a été
pensé à partir du confort de ses habitants. Il s'agit d'une tour,
bénéficiant d'une position privilégiée, reliée à la rue par une série de
terrasses plantées en cascade créant ainsi un véritable jardin
vertical. » Mais un jardin planté de mauvaises surprises…"En
septembre dernier, le père de famille s'installe donc avec femme et
enfants dans son nouvel appartement, comme la majorité des 49
acquéreurs. Mais avec de nombreuses réserves, dues notamment à des
matériaux qui ne correspondaient pas à ceux présentés au moment de la
réservation de ce logement acquis (aux environs de 4 000 euros le m²) en
VEFA.... Certains copropriétaires, eux, estiment que
les travaux ont justement été terminés trop rapidement et bâclés, pour
livrer le programme à temps.Surtout,
avec la fin de l'été, une autre surprise attendait les occupants de
l'immeuble. Un sifflement par à-coups, d'autant plus gênant la nuit
qu'il n'est pas étouffé par le bruit de fond ambiant et ceux de la rue. «
Le vent s'engouffre dans l'allée de Corse, qui crée une sorte
d'entonnoir », explique le copropriétaire. Comme ses voisins, il
attribue le phénomène à la vibration des barres métalliques (qui
serviront au soutien des mailles pour conduire les plantes de la façade
végétale) sous l'effet du vent....L’immeuble Iconik est bardé d’un grillage sur lequel doivent s’accrocher des plantes grimpantes.Les
plantes destinées à végétaliser la façade doivent pousser en
s'accrochant sur les mailles, elles-mêmes fixées sur les barres.
En bétonnant à outrance et à bon marché le maire de Nanterre, Patrick Jarry offre aux nouveaux acheteurs des appartements au rabais qu'ils paient finalement au prix fort .